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Préconisée pendant le confinement, la téléconsultation a enfin réussi à pénétrer dans le quotidien des Français. Malgré cette croissance soudaine, cette pratique possède encore de nombreux freins qui empêchent son développement.

Remboursée depuis 2018 par l’Assurance maladie, la téléconsultation a dû attendre une épidémie pour réussir à entrer dans nos foyers. Selon un sondage OpinionWay pour Medaviz publié en septembre 2019, 79% des Français restaient convaincus que la téléconsultation était moins fiable qu’un rendez-vous physique chez le médecin. Puis le Covid est passé par là, faisant bondir le taux de téléconsultation de 0,1% en février 2020 à 28% durant le confinement, selon une étude réalisée par le CSA pour Maïa. « On a vraiment vu l’industrie se transformer en quelques mois plus qu’elle ne l’avait fait en 5 ou 10 ans » , reconnaît Alexis Jakubowicz, responsable de la communication chez Alan. Mais si cette pratique a profité du Covid, certains freins demeurent. 

Difficile d’accès pour une grande partie de la population

Rodé à la téléconsultation, qu’il « utilise une demi douzaine de fois par jours », Stéphane Landais, médecin généraliste, reconnaît la plus-value de la pratique et son intérêt en complément d’une consultation classique. D’ici à ce qu’elle remplace les rendez-vous en cabinet, il y a encore un grand pas à franchir. Malgré ses atouts, elle trouve ses limites dans « l’absence d’examen physique (palper, toucher) qui sont nécessaires dans certaines situations, par exemple quand la douleur est très localisée recouvrant plusieurs zones ». En visio par smartphone ou ordinateur, « un médecin généraliste peut seulement réaliser 40 à 50% de ses actes habituels » , confie Jordan Cohen, PDG et fondateur de Tessan, entreprise spécialisée dans les cabines de téléconsultation et les objets médicaux connectés. 

Un autre point, parfois oublié, est également mis en avant : la difficulté d’accès. Si le fondateur de Qare estime que l’usage est ouvert à tous, « il reste particulièrement difficile pour les seniors » , analyse de son côté Delphine Blanchard, experte à la Haute Autorité de Santé. La France comptait 13,1 millions de personnes de 65 ans ou pluse en 2018, selon l’Insee.

Représentante des usagers à la Société Française de Santé Digitale, Delphine Blanchardi prône « une plus grande implication des collectivités sur ce sujet ». « Les médecins généralistes passent parfois du temps à expliquer à leurs patients comment fonctionnait la téléconsultation, certains n’arrivant pas à se connecter” , poursuit-elle. Alan, qui collabore avec Livi depuis 2018, reconnaît que la simplicité d’utilisation est primordiale pour faire adopter ce type de solution. Le foisonnement de plateformes, plus d’une dizaine d’entreprises françaises se partagent le marché selon nos recherches, complexifie encore cet usage. 

Rassurer les patients et mieux les orienter 

À ces premiers freins s’ajoute l’absence de connaissance du patient qui transforme alors la téléconsultation en « une simple consultation d’orientation ou de débrouillage de décision pour voir plus rapidement le patient » pour le docteur Stéphane Landais. Sans capacité d’ausculter le patient, de prendre son pouls, d’effectuer une palpation, ne doit-on pas voir la téléconsultation comme un simple outil de triage ou une alternative à la médecine de proximité ?  

Le CEO de Qare, Olivier Thierry, répond évidemment par la négative. La plateforme propose d’ailleurs des consultations dans plus de 50 spécialités dont la gynécologie, la dermatologie ou encore le dentaire. Difficile d’imaginer le diagnostic d’un abcès, d’une carie ou d’un psoriasis à distance grâce à un simple smartphone ou la webcam de son ordinateur.  « Les patients savent bien qu’on ne peut pas faire un frottis mais une discussion peut apporter de nombreux indices” , rétorque Olivier Thierry. Il s’agit alors davantage de rassurer un patient·e et de « déceler des problèmes assez tôt » , évitant de les laisser traîner pendant des mois. Si la réponse n’est pas claire, le constat est là : la téléconsultation est actuellement réservée à certains actes ne nécessitant pas une auscultation physique.

Pour Delphine Blanchard, elle est particulièrement appropriée pour « les patients atteints de maladie chronique et qui possèdent un traitement au long cours et doivent régulièrement le renouveler » . 

Les objets connectés au service de la téléconsultation  

Afin d’améliorer la qualité des téléconsultations, les acteurs du secteur peuvent compter sur les prouesses technologiques et notamment les objets connectés. Tessan en sait quelque chose. L’entreprise fabrique et commercialise des cabines de téléconsultation « augmentée » depuis 2017. Chacune d’entre elles comprend « sept dispositifs médicaux parmi lesquels figurent un stéthoscope, un tensiomètre, un thermomètre, un dermatoscope, un otoscope, un oxymètre et une balance » , détaille Jordan Cohen, CEO et fondateur. Grâce à ces outils, « les médecins pourraient ainsi réaliser jusqu’à 90% des actes qu’ils exercent habituellement contre 40 à 50% avec de la visio simple » .

Des clichés peuvent également être envoyés au médecin instantanément, qui peut alors les agrandir et les visualiser sur son ordinateur. Après l’installation de 85 cabines sur tout le territoire, Tessan vient de sortir une nouvelle table d’ophtalmologie permettant de réaliser des examens ophtalmologiques à distance. Cet outil, « destiné aux centres de santé et aux opticiens, vise à réduire le temps d’attente en zone tendue » poursuit l’entrepreneur. 

Qare a également décidé de se lancer sur le marché des objets connectés en fabriquant également des stéthoscopes et des otoscopes. Encore très onéreux, elles propose uniquement ces dispositifs aux entreprises et aux centres médicaux pour l’instant pour améliorer la qualité des consultations réalisées via sa plateforme. On peut en revanche se demander si demain, ils n’entreront pas directement dans nos maisons. « C’est encore un peu tôt pour se prononcer : il faut attendre de voir les cas d’usages et les retours d’expériences » mais si on arrive à « faire ‘entrer’ le médecin dans le domicile, avec l’accord du régulateur, ça peut être intéressant” , estime Alexis Jakubowicz.

Des perspectives d’usages et des plans commerciaux qui ne pourront pas passées à travers une question sensible : le stockage des données médicales ainsi récoltées. Le secteur, encore naissant, a encore de besoin de structurer.